3 ruptures de tendance majeures dans le segment de la presse depuis la crise de la Covid-19

La presse connaît une tendance à la baisse de ses ventes depuis quelques années, mais la Covid-19 a permis de faire une pause dans les chiffres. La gamme numérique et les abonnements ont connu une belle progression et la baisse des ventes en librairies a été beaucoup moins prononcée. Tom Vermeirsch, CCO chez Ubiway, est responsable de tout ce qui est distribué en Belgique et a donc une bonne vue du paysage de la presse dans notre pays. Il voit trois ruptures de tendance majeures en 2020 et elles semblent se poursuivre positivement cette année également.

priorité au numérique

Comment la presse a-t-elle évolué ces dernières années, avant même la crise sanitaire?

Tom Vermeirsch (CCO Ubiway): "Si nous voulons définir la presse, nous devons considérer trois canaux possibles: le numérique d'une part, la vente en librairie et les abonnements d'autre part. Aujourd'hui, les éditeurs donnent la priorité à leurs ventes numériques. Les journaux, en particulier, fonctionnent très bien sous forme numérique, car ils permettent de réagir très rapidement aux événements actuels. Pensez aux Jeux olympiques récents. Lorsque Nafi Thiam gagne une médaille d'or à 4 heures du matin, heure belge, il est impossible pour les journaux papier de suivre l'actualité. Le numérique prend ainsi l'avantage. Ainsi, le nombre de volumes chez le marchand de journaux a diminué ces dernières années car la priorité a été donnée à l'histoire numérique."

Dans quelle mesure exactement les ventes et les volumes baissent-ils dans les librairies?

Vermeirsch: "En moyenne, nous pouvons parler d'une baisse de -7% du chiffre d'affaires et de -9% des effectifs. La différence entre ces deux tendances à la baisse est facile à expliquer et a tout à voir avec l'élasticité du prix du produit. Les éditeurs constatent que les chiffres de vente sont en baisse. Leur réaction est d'augmenter le prix afin que la perte en nombre puisse encore être compensée par le chiffre d'affaires. Nous le constatons effectivement, les journaux et les magazines connaissent une croissance accélérée en l'espace de dix-huit mois."

Comment se sont comportés les pays voisins jusqu'en 2020?

Vermeirsch: "Si nous plaçons la Belgique au niveau international, nous constatons que nous sommes le pays le plus performant. En France et aux Pays-Bas, nous constatons des baisses encore plus prononcées qu'ici. Mais une tendance que l'on observe partout ces dernières années est que les investissements numériques font chuter les volumes des ventes individuelles. Les éditeurs investissent massivement dans le volet numérique en lançant sur le marché des formules d'abonnement très bon marché. Cette stratégie entraîne une baisse supplémentaire des ventes en librairies. C'est à peu près la tendance générale que nous avons observée ces dernières années."

3 ruptures de tendance majeures

1. plus de lecture

Vous déclarez qu'il y a eu plus de lecture en 2020, quelle en est la raison?

Vermeirsch: "Le fait qu'il y ait eu plus de lecture en 2020 est pour moi la plus grande rupture de tendance. La vie s'est pratiquement arrêtée en avril 2020 - les gens ne pouvaient plus aller au travail, ils étaient bloqués à la maison et cherchaient des moyens de s'occuper. On peut tondre la pelouse plusieurs fois, mais à un moment, il faut trouver d'autres façons de passer le temps. La lecture, semble-t-il, est devenue l'une d'entre elles. Certaines familles ont soudainement vu leur chiffre d'affaires doubler et c'était purement dû au confinement."

Les ventes de journaux ont-elles connu une forte augmentation?

Vermeirsch: "Les journaux sont généralement restés assez stables, là nous avons obtenu un indice de 97 pendant le premier confinement, donc 3% de moins de journaux ont été achetés pendant cette période que pendant la même période en 2019. Toutefois, cette baisse est beaucoup moins forte que les années précédentes, et après le premier confinement, la baisse s'est à nouveau accentuée. Cela pourrait être dû au confinement d'une part, mais aussi à l'actualité soudaine entourant la question du Covid-19 - une lecture populaire souvent sensationnalisée qui a eu un impact positif sur les ventes. En fin de compte, le journal en exemplaire unique reste toujours un produit d'impulsion."

Quelles autres familles ont connu une croissance positive?

Vermeirsch: "Nous avons constaté une très forte augmentation du nombre de magazines de jeux et de magazines de niche vendus. Cela reste un marché assez important avec 400 types et un chiffre d'affaires annuel de 16 millions d'euros. Multipliez ce chiffre par 60% (indice 161) et vous obtiendrez un grand nombre de produits vendus en plus grand nombre. Les magazines d'actualité et les magazines féminins se sont également bien vendus. Mais la catégorie qui dépasse de loin toutes les autres est celle des livres. Cela est à nouveau dû aux confinements et bien sûr au magnifique printemps et été que nous avons eu en 2020."

2. Comparaison avec d'autres pays

Certains segments ont connu une très forte augmentation, d'autres sont restés les mêmes ou ont cédé du terrain. Comment s'est terminée l'année 2020 en termes de chiffre d'affaires?

Vermeirsch: "Le marché total des ventes à l'unité a toujours un chiffre d'affaires de 300 millions d'euros, il reste donc un marché assez important. Mais il cède du terrain chaque année. En 2020, cependant, nous avons clôturé l'année sur un résultat stable, même en légère augmentation. Cela montre l'effet positif de la Covid-19 sur le segment de la presse. Mais la portée numérique a aussi énormément augmenté, nous disent les éditeurs, et le nombre d'abonnements a également augmenté. Cela est dû en partie à l'actualité et à la forte consommation médiatique qui en a résulté. Le marché des lecteurs a donc été très sain l'année dernière."

Comment le segment de la presse a-t-il évolué par rapport à nos pays voisins?

Vermeirsch: "Cela nous amène immédiatement à la deuxième grande rupture de tendance, à savoir le benchmarking avec les pays voisins. En France et aux Pays-Bas, nous constatons une forte tendance à la baisse des chiffres de vente et cela est dû en grande partie aux mesures strictes qui y ont été mises en place pour pénaliser les ventes de presse. Heureusement, le gouvernement a décidé que la presse est un produit essentiel et nécessaire à l'information des citoyens. Ainsi, tous les magasins de journaux ont pu rester ouverts et les abonnements ont pu être distribués grâce aux énormes efforts déployés par bpost. Garantir la continuité n'a pas toujours été facile.

N'était-ce pas le cas dans nos pays voisins?

Vermeirsch: "Non, en France et aux Pays-Bas, la distribution de la presse s'est complètement arrêtée lors du premier confinement: les magasins ont fermé et même les abonnements n'étaient plus livrés à domicile. Ces pays n'avaient donc qu'une seule option pour atteindre leurs lecteurs, et c'était le numérique. Mais pensez à tous ces magazines qui n'ont pratiquement aucune portée numérique - pour ces groupes, c'était désastreux. Tout était donc en suspens, et en plus, les revenus publicitaires ont aussi complètement disparu. De nombreux éditeurs là-bas ont vu de la neige noire pendant un certain temps, alors que nous, en Belgique, avons très bien traversé cette période. Alors que Covid-19 peut sonner le glas de la distribution de la presse dans ces pays, ici, il a permis à la presse de s'épanouir. Nous disposons de chiffres concrets en France et aux Pays-Bas, mais j'entends dire que les dommages subis en Espagne et en Italie sont également dramatiques."

"Le travail à domicile obligatoire a fait redécouvrir aux consommateurs les commerces de proximité"

3. Les commerces locaux renaissent

Le segment de la presse a clairement prospéré en pleine crise, mais par quels canaux les Belges ont-ils principalement acheté leur matériel de lecture?

Vermeirsch: "La presse est toujours distribuée principalement dans les librairies à journaux, plus précisément: 41% de tous les magasins où la presse est vendue sont des librairies. Et les marchands de journaux sont responsables de 50% du chiffre d'affaires réalisé par ce canal. Ils restent donc un canal très important pour la vente de la presse. Et cela nous amène directement à la troisième tendance, à savoir que non seulement la presse a prospéré pendant la période de crise, mais aussi les marchands de journaux. Le nombre de points de vente de presse - je ne parle pas seulement des marchands de journaux, mais aussi des stations-service, des Standaard Boekhandels et d'autres chaînes de magasins - diminue d'année en année. Et qu'observons-nous en 2020 et 2021? Le nombre de points de vente diminue beaucoup moins et tend même à se stabiliser, et en juin 2021, nous sommes presque au point d'équilibre avec la même période en 2020. Vers la fin de l'année, je prédis que nous serons au même nombre de points de presse qu'à la fin de 2020 et ce serait une nouvelle très positive."

Comment expliquer cette évolution?

Vermeirsch: "La Covid-19 a littéralement remodelé le paysage et l'impact est très perceptible cette année encore. Le télétravail obligatoire a fait redécouvrir aux consommateurs les commerce de proximité. De plus en plus de personnes achètent donc localement, et cela vaut non seulement pour les marchands de journaux, mais aussi pour les petites boulangeries et les boucheries. C'est ainsi que l'on assiste au renouveau des commerces de proximité, une habitude que les consommateurs ont désormais intériorisée. Il y a donc clairement eu un déplacement des ventes des grands centres urbains vers les petits magasins locaux. D'un autre côté, nous recevons aussi beaucoup de nouvelles demandes et c'est un peu l'anticipation d'un nouveau projet de loi qui est sur la table concernant les paris sportifs dans le secteur de la presse quotidienne."

"Les ventes au numéro restent la principale source de revenus qui permet de financer les autres activités"

Les ventes autonomes sont la forme de distribution la plus rentable

Cette évolution se poursuivra-t-elle positivement dans les années à venir?

Vermeirsch: "Les ventes au numéro restent une source importante de revenus et constituent toujours la forme de distribution la plus rentable des trois pour les éditeurs. Les éditeurs gagnent peu avec le numérique, les publicités sont sous pression, les prix sont augmentés... Les ventes au numéro restent la principale source de revenus qui permet de financer les autres activités. Un jour, cela sera plutôt le numérique et les éditions papier tendront à disparaître, mais ce n'est certainement pas pour tout de suite. Les journaux ont donc clairement encore de beaux jours devant eux, pour un certain temps encore."